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Mon oeuvre          
Vue par Sylvie Testamarck, plasticenne et professeur d’histoire de l’art.
15.08.2018





« Mon dessin est mon corps. A  travers lui, je poursuis l’exploration des identités multiples dont je suis constituée ... »



C’est un travail placé sous le signe d’une métamorphose  opiniâtre : je dessine donc je me construis.

Au début, dans ses dessins, on trouve des femmes, séduisantes toujours, vêtues certes mais anatomiquement incomplètes, autour desquelles semblent d’ailleurs graviter toujours d’invisibles prédateurs. Elles disent quelque chose d’une féminité inquiète,  crainte et craintive et pourtant violement revendiquée.

A présent, dans son travail, toujours des femmes mais dénudées celles-ci, définitivement mises  à nu, exposées de l’intérieur d’elles-mêmes.

Un seul outil d’expression pour cette artiste : le dessin. Un support privilégié : le calque, entendu ici comme métaphore de la peau pour son côté soyeux, laiteux, précieux mais résistant, supportant  les griffures que l’artiste va lui apposer. Car on coud, sur cette peau-papier, une broderie ensauvagée qui tiendrait  du tatouage et du bijou mais pas seulement. Ici, on dessine le contour du corps d’un trait de crayon mais c’est le fil de couleur  qui structure puissamment l’anatomie. Le fil est une ligne qu’on ne peut pas gommer, reliant entre eux la main au téton, la bouche au sexe, un sein à un autre, dressant dès lors comme la cartographie secrète du corps féminin. Le dessin « Voie lactée » dit quelque chose de ce pouvoir nouveau fraîchement détenu.  On  y voit une moderne Junon faisant jaillir le lait qui formera la nouvelle constellation. Le pouvoir divin opposé  (ou coexistant) ici avec la vulnérabilité des premières figures.

Le fil est aussi un chemin que l’artiste va suivre comme l’enfant des contes de fées : attentive à sa seule rêverie. Parfois le fil s’emmêle, on laisse cet emmêlement demeurer qui, de manière imprévue, a dit ce jour-là quelque chose d’elle-même. On découd aussi  et c’est alors un autre chemin à parcourir, à l’envers celui-ci, et quand il se fait, patiemment, méticuleusement, la pensée chemine elle aussi.  Le fil cousu, le trait du crayon, les traces laissées par  l’aiguille sont autant  de  repères d’un territoire intérieur secrètement exploré dont  les corps dessinés seraient les cartes à déchiffrer.

Au fond, pourrait dire Julie Ozanne : « mon dessin est mon corps. A  travers lui, je poursuis l’exploration des identités multiples dont je suis constituée et dont j’entends percer tous les mystères. »

Telle est sa quête.

Sylvie Testamarck

Le 15.08.2018
Plasticienne, professeur d’histoire de l’art à l’université populaire Averroès de Bondy.

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Mon oeuvre          
Vue par Amari, écrivaine et artiste.
04.11.2022



« Telles les deux premières Parques, Julie Ozanne crée, déroule et tisse.
Dans ce récit, cela nous laisse la place de Morta, la troisième sœur... »




L’une des premières œuvres de Julie Ozanne montre un visage de femme, en plan serré, dont les yeux sont couverts par une main. Une autre lui bouche l’oreille. Son rouge à lèvre a dangereusement bavé. L’œuvre se prolonge jusqu’à son titre : Surprise. Car c’est à nous, humbles observateurs et observatrices, de décider si celle-ci est belle… ou tragique.

Il n’y a que peu d’artistes qui savent placer leurs créations sur de telles lignes de crête. Si ténues, si aiguisées, si précises qu’elles forcent à des dialogues quasi-impossibles avec soi. En art, nous nous demandons souvent ce que nous sommes censés regarder. Julie Ozanne place le curseur un peu plus profond, à l’endroit même du beau et de la douleur, et fait émerger ce que nous voyons. Percevons. Ressentons. Vraiment. Individuellement. Mais aussi, collectivement.

Parce qu’il est question de corps. De cuisses, de pieds, de tétons et de seins de femmes. De membres et de chairs cousues, décousues, recousues. Palpables.   

Il est question de sexe comme autant de plaisirs, comme autant de jouissances, comme autant de douleurs. De caresses. D’expérimentations.

Il est question de corps sans tête, comme peut-être est-il question de nos destinées, aussi pénibles qu'heureuses, de femmes aux enveloppes historiquement empêchées, aux destins ligotés. 

Enfin, il est question de lait. De nourritures terrestres. Mais aussi de corps en chute libre. Peut-être est-il même question de mère ? Cette mère Nature que l’on malmène. Car depuis quelques temps, le végétal prend place parmi les vivants dans le travail de l’artiste.

Telles les deux premières Parques, Julie Ozanne crée, déroule et tisse. Dans ce récit, cela nous laisse la place de Morta, la troisième sœur. Comme toujours avec l'artiste, c’est nous qui déciderons de la suite des personnages. Et c’est à nous de trancher ou non, parfois des années après, le fil de nos interprétations.


Amari,
Le 4.11.2022

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